Lettre aux expatriés


Naître, (d’être d’) ici et là.

Être loin de chez soi.

Partir, cet élan vers l’inconnu.

Chaque rue nouvelle, chaque lieu nouveau est une énigme à déchiffrer, chaque instant une découverte. Et puis vient l’après. Ce moment suspendu où l’on comprend que le déménagement n’est pas qu’un voyage sur la carte, mais aussi un mouvement intime, un lent déplacement du cœur.

Sans bruit, une sensation étrange s’installe, celle d’être entre deux mondes. Ni tout à fait d’ici, ni plus vraiment de là-bas. Comme un poisson entre deux eaux, on avance, avec des paquets d’appartenances multiples qui ne s’emboîtent jamais parfaitement.

Autrefois, l’appartenance était un murmure discret, l’ambiance d’un quartier, l’odeur d’une atmosphère, des rires familiers, un sol sous nos pas, autant de choses que l’on ne questionnait pas. Aujourd’hui, il faut la réapprendre, la sculpter jour après jour, dans des regards, des gestes, des infimes rituels qui réancrent subtilement.

Ce qui manque, ce n’est pas toujours un pays ou une ville, mais la douceur d’une langue, d’un accent, ou encore d’expressions qui coulent sans effort. La familiarité des silences qui n’ont pas besoin d’être comblés, les nuances d’un monde que l’on savait lire sans même y penser. Des repères invisibles que l’on chérissait tant.

Et puis, il y a les liens. Ceux qui traversent la distance, ceux qui se distendent sans bruit. Non par désamour, mais parce que le temps façonne différemment ceux qui restent et ceux qui partent. Le poids des mondes qui se déplacent sans toujours se croiser réaménage le paysage relationnel.

Comment appartenir autrement ? C’est quoi, être chez soi, finalement ?

Être loin est comme un mouvement, une mue silencieuse, une façon d’élargir les contours de chez soi. Parfois, ce sont plusieurs lieux, réels ou imaginaires. Ce sont des épaisseurs de ce que l’on embrasse. Un refuge que l’on construit au fil du temps et des rencontres, qui sait ?