Le silence comme héritage


Il y a des familles où le silence s’apprend plus tôt que les mots.
Où l’on devine ce qu’on ne dit pas. Où les regards veulent tout dire, mais finissent souvent par détourner les vérités.

Certaines paroles donnent un aperçu de l’ambiance dans laquelle la personne trempe.

Un bain glacial dans lequel on ressentirait tous ses os.
« Chez nous, on ne se parle pas. »
« On ne dit pas ce qu’on ressent. »
Ce « on », qui enveloppe le groupe, mais qui est aussi significatif du masque individuel que l’on arbore. Ce « on », porte alors, toute la charge d’un système figé.

Un système où la parole est risquée.
Parce qu’elle pourrait réveiller d’anciennes douleurs.
Parce qu’elle pourrait déranger l’équilibre si précaire en place.
Parce qu’elle pourrait exposer trop brutalement ce qu’on préfère tenir loin de notre regard.

Alors on ne dit pas.
On garde pour soi.
On range les émotions comme on range des objets fragiles qu’on n’ose plus sortir.
On ne s’est pas rendu compte, mais on commence à accumuler la poussière sous un tapis.

Et petit à petit, le silence devient la langue maternelle.

Mais ce silence-là n’a rien de paisible.
Il ronge doucement. Il crée des murs invisibles, des non-dits lourds comme des secrets.
Il éloigne même quand on s’aime. Il fige les relations dans une sorte de théâtre sclérosé où chacun joue un rôle appris depuis l’enfance.

Il y a, parfois, au cœur de ces silences, une peur bien plus grande que celle de parler : celle d’être jugé, incompris, ou rejeté. Alors on préfère se taire, croire que c’est plus simple ainsi.

Et, peut-être, que ça l’est. Certains y trouvent un bénéfice à ne pas aller remuer la soupe du passé.

Puis dans certains cas, ce sont les liens eux-mêmes qui s’étouffent.

Alors, si un jour, quelqu’un tentait ? Un mot. Une phrase qui glisse. Un souffle de vérité dans l’air trop calme.
Un « j’ai besoin de te dire quelque chose ».

Ce jour-là, on ne sait pas ce qu’il adviendra.
Peut-être que le mot tombera dans le vide et la distance sera de mise.

Ou peut-être qu’il plantera une graine.
Oser être la dissonance. Le craquement dans le bois trop sec.
Non pas pour briser, mais pour permettre à quelque chose de nouveau de pousser.

Parce que parler, ce n’est pas toujours chercher à changer l’autre.
Parler, c’est se libérer. Se reconnaître.

Et peut-être, doucement, redonner au lien une forme plus vivante.
Pas parfaite. Pas toujours réciproque. Mais vraie.