Moi, moi et moi


Et si la santé mentale n’était pas une promesse de réussite ?

Depuis quelques années, le développement personnel a pris une place considérable dans notre société. Il y a des slogans qui fusent de partout :

« Deviens la meilleure version de toi-même. »

« Change tes pensées, change ta vie. »

« Reprogramme ton cerveau pour réussir »

Et à travers ces injonctions tout droit sorties de belles publicités, une idée s’est imposée : être mentalement “au top”, c’est réussir sa vie. Mais ce raccourci repose-t-il sur quelque chose de juste ? Et surtout, à quel prix ?

Le développement personnel : éclairage ou nouvelle injonction ?

Oui, le développement personnel a permis à beaucoup de sortir du déni, de chercher du sens, de remettre en question des schémas bien établis. Plutôt chouette de se sentir plus léger. Mais il a aussi renforcé une vision individualiste de la souffrance : « si tu n’avances pas, c’est que tu ne fais pas assez » ou encore, « si tu rechutes, c’est que tu n’as pas bien travaillé sur toi ».

La sociologue Eva Illouz parle d’un « capitalisme émotionnel » où les émotions deviennent une marchandise à gérer, optimiser, contrôler. Résultat : la douleur devient un « problème de volonté », plutôt qu’une conséquence relationnelle, sociale, ou encore systémique.

Malheureusement, cela peut créer un isolement sourd. Un malaise de plus, ajouté à ceux qu’on voulait dépasser.

Et non, la santé mentale n’est pas un outil de performance !

La psychologie clinique n’a pas pour vocation de rendre les gens « efficaces ». Elle travaille le lien à l’autre, elle n’implante pas une injonction de performance.

Carl Rogers, fondateur de l’approche centrée sur la personne, insistait sur l’idée que le soin ne consiste pas à « corriger » l’autre, mais à lui offrir un espace relationnel inconditionnel pour qu’il se transforme de lui-même. La pensée psychanalytique se retrouve également dans cette même logique : « Guérir, ce n’est pas supprimer le symptôme, c’est en faire quelque chose. »

Tout ceci va à l’encontre de l’idée que toute souffrance doit être supprimée rapidement.

Le symptôme est un langage, pas un bug.

Réduire la santé mentale à un simple bon fonctionnement, c’est oublier une chose fondamentale : Le symptôme est un message, et non pas un dysfonctionnement.

La psychiatre Marie-Rose Moro le rappelle : « Les troubles psychiques sont souvent des tentatives de solution. Ils disent quelque chose d’un déséquilibre relationnel ou culturel profond. »

En tant que professionnel, on n’aide pas les gens à « réussir leur vie » : On les aide à retrouver du lien. Avec eux-mêmes. Avec leur histoire. Avec les autres. C’est un travail de reconnaissance, pas d’amélioration continue.

Distinguer accompagnement et conditionnement.

Le développement personnel pousse souvent à l’introspection solitaire : podcasts, formations en ligne, journaling, conseils… Mais le soin psychique passe aussi et surtout par la relation.

Les études en psychothérapie relationnelle montrent que le lien thérapeutique est le facteur principal de transformation, bien plus que la méthode employée (Lambert & Barley, 2001). Un bon thérapeute n’est pas là pour “corriger”, mais pour accompagner la réappropriation du vécu. Pas pour poser des “outils” mais pour soutenir un processus vivant, imprévisible, incarné. Bien en dehors de toutes mécaniques de contrôle qui sous-tendent les injonctions.

Et pourtant, face à cette complexité humaine, on tente aujourd’hui de normer le soin psychique. Une standardisation bien loin de la réalité du terrain… (partie 2 à suivre)