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Peut-on soigner le lien en 12 séances ?

Dans cette logique de maîtrise et de simplification (que nous avons exploré dans la partie 1), on voit aussi émerger des tentatives de cadrer le soin psychique. Par exemple, le gouvernement a récemment proposé un cadre standardisé de douze séances pour « accompagner » une souffrance, comme si l’âme humaine pouvait se réparer sur ordonnance, en forfait limité.

Travailler la relation d’attachement, par exemple, ne se résout pas en douze rendez-vous casés entre deux réunions. C’est une traversée, pas une série limitée.

Cette idée de « distribuer » les séances interroge : qui décide du temps qu’il faut à quelqu’un pour aller mieux ? Comme si le soin pouvait se quantifier, alors qu’il repose justement sur le subjectif, l’intime, et l’imprévisible.

Le psychisme n’est pas un fichier Excel. Et le lien thérapeutique, encore moins.

Certes, on peut désormais accéder à ces séances sans passer par la case médecin. Un pas de côté intéressant… mais qui ne change pas vraiment le décor de fond. Le dispositif reste pensé pour des troubles « légers à modérés », une terminologie un peu floue, comme si la souffrance psychique pouvait se calibrer en pourcentages.

On avance, mais sur un fil : moins de portes à franchir, oui, mais toujours un plafond au-dessus de la tête. Or, certaines douleurs ont besoin d’espace, de temps, de liens répétés pour s’élaborer. Pas d’un format « allégé » avec option vite-fait.

Après tout, personne ne demande à un kiné de « résoudre un traumatisme en 12 séances maximum ». Pourquoi ce raccourci, dès qu’il s’agit de l’esprit ?

Et puis, soyons honnêtes : penser le soin psychique en équipe, de façon pluridisciplinaire, ce n’est pas une innovation de dernière minute. Les CMP le font depuis plus de soixante ans. On y travaille le lien, le long terme, la complexité, en croisant les regards. Ça existe déjà, le soin pensé comme relationnel, collectif, inscrit dans la durée.

Ce n’est pas un « soutien psy » à la chaîne, c’est un accompagnement qui accepte que le psychisme ne rentre pas dans des cases bien nettes, ni des délais serrés. Ce qu’on nous propose aujourd’hui a parfois des airs de recyclage un peu appauvri d’un modèle qui existe déjà, avec moins de moyens… et moins de reconnaissance relationnelle.

Alors, non, la bonne santé mentale n’est pas un gage de réussite. Elle n’est pas une assurance-vie. Elle est humaine et délicate.

Ceux qui l’accompagnent ne sont pas des “pros en efficacité intérieure”. Ils sont éclaireurs de lien, des témoins, des appuis temporaires sur le chemin de quelqu’un qui cherche à redevenir lui-même.

Alors non, la santé mentale n’est pas là pour faire réussir. Elle est là pour permettre d’exister.

Et surtout, on peut se poser la question : qu’est-ce que la réussite, au final ?