Apprendre à rester vivant dans la relation, sans se perdre ni se durcir.
Dans une époque où tout le monde parle de « poser ses limites », il devient presque suspect de rester ouvert. La protection est devenue un mot d’ordre : protéger son énergie, protéger son espace, se protéger des « personnes toxiques ». Ici nous ne nions pas que c’est souvent nécessaire. Mais entre la fermeture défensive et la porosité totale, il existe une zone subtile, celle du lien vivant, de la circulation. C’est dans cet entre-deux que se joue une forme de maturité affective.
De la blessure à la cuirasse
Lorsqu’on a été trop souvent envahi, trahi, nié, bafoué, le réflexe de fermeture devient vital. Le corps et le psychisme serrent les rangs. On se durcit, parfois sans s’en rendre compte. On se tend de tout son être et ce durcissement donne l’illusion d’une force : celle de ne plus souffrir. Mais il coupe aussi du vivant, de la tendresse, de la surprise. En psychologie, on parle souvent de mécanismes de défense, mais il serait important aussi parler de mécanismes de survie, qui ont eu leur raison d’être, mais deviennent trop coûteux quand ils se figent et qu’ils n’ont plus lieu d’être.
Apprendre à se protéger sans se fermer, c’est apprendre à faire confiance à nouveau, mais pas n’importe comment. C’est reconnaître que l’ouverture n’est pas la naïveté, et que la vulnérabilité peut être un signe de santé psychique, pas de faiblesse.
L’art des limites vivantes
Poser une limite ne veut pas dire construire un mur, mais affirmer comme une membrane vivante. Quelque chose qui laisse passer ce qui nourrit, et qui retient ce qui détruit.
C’est une compétence qui se construit dans le temps, souvent au contact des autres et paradoxalement, c’est dans la relation qu’on apprend à se protéger (or cas de danger avéré évidemment). Car des limites rigides nous font couper la relation. Les limites floues dissolvent le Moi. Or les limites justes maintiennent la circulation entre soi et le monde.
Elles permettent de dire : « Ce que tu fais me blesse » sans rompre le lien, ou au contraire, de se retirer quand le respect n’est plus possible, sans se sentir coupable.
Dans la clinique, on observe souvent que les personnes ayant grandi dans des milieux où les limites étaient inexistantes ou violées doivent réapprendre à habiter leur frontière psychique. Ce travail se fait pas à pas : d’abord en ressentant, ensuite en formulant, enfin en agissant.
La relation comme espace d’ajustement
Se protéger ne signifie pas s’isoler. C’est au contraire une manière de préserver la possibilité de relation.
On peut imaginer le lien humain comme un élastique, c’est-à-dire que trop tendu, il peut casser et trop lâche, il perd de sa forme. L’équilibre vient de l’ajustement constant.
Cet ajustement suppose deux capacités. La première est de pouvoir s’écouter soi-même, c’est-à-dire ressentir quand quelque chose déborde ou agresse et rester curieux de l’autre c’est-à-dire, ne pas figer son jugement, laisser place à la nuance.
Cet espace d’écoute mutuelle, quand il existe, devient thérapeutique en soi. Il permet à chacun de se sentir à la fois respecté et relié.
L’ouverture comme force maîtrisée
S’ouvrir, ce n’est pas tout accepter. C’est être capable de rester perméable sans être envahi.
Les recherches en psychologie de l’attachement montrent que la sécurité intérieure n’exclut pas la vulnérabilité, elle la rend possible.
Une personne sécurisée n’a pas besoin de tout fermer pour se sentir en paix, elle sait qu’elle peut dire non, se retirer, ou se recentrer, sans perdre son identité. Autrement dit, la véritable solidité n’est pas la fermeture, mais la souplesse.
Trouver sa juste distance
Se protéger sans se fermer, c’est un apprentissage permanent.
Certains jours, on se ferme trop vite, d’autres pas assez. Il n’y a pas de formule magique, seulement une exploration continue de ce qui est juste pour soi.
C’est peut-être cela, au fond, la maturité relationnelle, savoir danser avec le vivant, sans se confondre ni se retirer tout d’un coup. Savoir aimer sans se perdre, écouter sans se dissoudre, donner sans se vider.